Intervention de Jean-Yves Le Drian dans le cadre du segment de haut niveau de la 46ème session du Conseil des droits de l’homme

46ème session du Conseil des droits de l’Homme

Segment de haut niveau
 

Intervention de M. Jean-Yves Le Drian,
Ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères

Genève, 16 février 2021

La version prononcée fait foi.

  • Mesdames et Messieurs,

1/ 2020 n’aura pas seulement été la première année d’une crise pandémique qui a bouleversé la vie internationale et la vie de nos nations. Cette année fut aussi marquée par une série de régressions considérables pour les droits de l’Homme.
En Biélorussie, l’aspiration démocratique d’un peuple a été balayée par la violence.
Un opposant politique russe a été victime d’une tentative d’assassinat au moyen d’un agent neurotoxique de qualité militaire fabriqué par la Russie. Après avoir frôlé la mort, Alexeï Navalny est aujourd’hui en prison.
De la région chinoise du Xinjiang, nous parviennent des témoignages et des documents concordants, qui font état de pratiques injustifiables à l’encontre des Ouïghours, et d’un système de surveillance et de répression institutionnalisé à grande échelle.
Dix ans après le début de la révolution syrienne, Bachar el-Assad continue à faire la guerre à son peuple, avec le concours de ses alliés.
Au Yémen, la population est la première victime d’un terrible conflit qui dure depuis 2015. Elle est aujourd’hui menacée par la famine.
Dans de trop nombreuses régions, les possibilités d’expression de la société civile se réduisent en raison des mesures prises par des régimes autoritaires ou qui ne comprennent pas qu’il ne saurait y avoir de stabilité et de développement sans respect des libertés fondamentales et de l’aspiration des sociétés, et notamment de la jeunesse, à vivre librement. Cette exigence, de vérité et d’action, sachez que la France la portera dans ce Conseil des droits de l’homme comme dans ses relations bilatérales, partout. Je dis bien, partout. Aucun pays ne sera exempt de notre attention.

Quant au coup d’Etat militaire survenu au début du mois en Birmanie, il n’augure guère mieux pour l’année qui vient de commencer.

2/ De manière non moins préoccupante, ces régressions de fait s’accompagnent d’une vague de remise en cause de l’universalité même des droits de l’Homme et du système multilatéral que nous avons patiemment édifié pour les défendre et les promouvoir.

*
Nous ne saurions nous y résigner. Ensemble, nous devons faire vivre un multilatéralisme des droits humains exigeant et soucieux de résultats tangibles. Le propre du multilatéralisme, c’est qu’il s’applique à tous.

La France, je le dis avec humilité, est également prête à travailler avec l’ensemble des acteurs du système de protection des droits de l’Homme pour répondre aux critiques qui pourraient nous être adressées.

Mais la France entend aussi se mobiliser en faveur du respect universel des droits de l’Homme –, que nous souhaitons décliner en six priorités d’action très concrètes au sein de ce Conseil.

D’abord, la défense des droits fondamentaux des femmes et des filles.
Le droit à la santé sexuelle et reproductive, qui fait aujourd’hui l’objet d’atteintes inacceptables. Partout dans le monde, et jusqu’en Europe.
Le droit à l’éducation, dont les femmes sont souvent les premières à ne pouvoir bénéficier.
L’égalité de genre, dans toutes ses dimensions.

Le Forum génération égalité, que nous accueillerons cet été avec le Mexique, et que nous organisons avec ONU Femmes, sera pour nous l’occasion de relancer la mobilisation sur ces questions fondamentales, qui sont au cœur de la diplomatie féministe que je porte.

La deuxième priorité que nous porterons à ce Conseil, c’est la protection des défenseurs des droits.
Parce qu’ils se battent pour les principes et les valeurs qui nous rassemblent, parfois au péril de leur vie, nous leur devons notre plein soutien.
La France appelait de ses vœux la libération de Loujain al Hathloul, en Arabie Saoudite. Nous nous réjouissons qu’elle ait enfin eu lieu.
Mais je tiens à redire aujourd’hui notre très vive préoccupation quant à la situation de Nasrin Sotoudeh, en Iran. Et je tiens aussi à rappeler que certains pays, à commencer par l’Iran, considèrent que les libertés académiques, la liberté de chercher, d’enseigner, de publier, doivent être subordonnés à des approches qui relèvent clairement de la prise en otage. Je pense évidemment à Fariba Adelkah, dont nous continuerons à demander la libération définitive sans relâche.

Nous œuvrerons aussi en faveur des droits fondamentaux et des libertés fondamentales.
Car la liberté d’expression et d’opinion, la liberté d’informer et d’être informé, la liberté de manifestation – pour n’en citer que quelques-unes – sont des piliers de la démocratie.

Nous continuerons à nous mobiliser contre les disparitions forcées. Enfin, quarante ans après l’abolition de la peine de mort en France, nous devons poursuivre nos efforts de conviction pour son abolition universelle au nom de l’idée que nous nous faisons de la dignité de l’être humain.

La France entend également appeler l’attention de la communauté internationale sur des enjeux transversaux trop souvent négligés.
Je pense à la promotion de l’Etat de droit, qui est le seul cadre à même de garantir le respect des droits de l’Homme.
Ou encore à la lutte contre la corruption, dont nous savons qu’elle entretient les pires dérives, y compris sur le plan des droits et de la démocratie.
C’est un sujet sur lequel nous souhaitons avancer avec nos partenaires européens, dans la perspective de la Présidence française du Conseil de l’Union européenne, au premier semestre 2022.

Ces combats, nous veillerons à les mener en y associant l’ensemble des acteurs de la société internationale.
Non seulement les Etats.
Non seulement les organisations internationales et les ONG.
Mais aussi les entreprises, qui ont des responsabilités, notamment aux plans social et environnemental et qui disposent de véritables leviers d’action, notamment dans la lutte contre le travail forcé.

Enfin, notre engagement contre l’impunité reste entier.
L’absence de sanction pour les auteurs de violations des droits de l’Homme n’est pas uniquement une injustice patente. C’est aussi toujours un signal absolument désastreux.

Je tiens, à cet égard, à saluer le rôle de la Cour pénale internationale, et à adresser un message de soutien à son nouveau Procureur, Karim Kahn, qui devra mener à bien la modernisation de cette institution indispensable.

Outre la lutte contre l’impunité dans le cadre des juridictions internationales et de nos juridictions nationales, nous entendons agir dans le cadre de l’instrument des sanctions, aussi bien aux Nations que dans le cadre de l’Union européenne. Nous l’avons déjà fait, par exemple, en agissant avec nos partenaires pour placer sous sanctions des trafiquants d’êtres humains en Libye. Nous entendons poursuivre et intensifier ces efforts.

*
La France est très fière d’être de retour au sein de ce Conseil des droits de l’Homme, que nous voulons contribuer à renforcer, puisque l’efficacité de notre action collective en dépend.
Il est évident qu’il doit disposer d’un financement adapté à l’importance de sa mission.
La suppression des débats généraux de la session de juin, faute de budget, n’est tout simplement pas acceptable.
Pas plus que les atteintes au multilinguisme au nom de restrictions budgétaires.
L’enjeu, c’est aussi de travailler différemment, pour éviter que le Conseil ne se disperse. Le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme peut nous aider à éviter cet écueil, et la France renforcera le soutien qu’elle lui apporte, y compris au plan financier.

Siéger dans cette enceinte – mes chers amis – n’est pas seulement un honneur, que nous mesurons. C’est aussi et surtout une responsabilité, que nous sommes déterminés à assumer pleinement.

Je vous remercie.

Dernière mise à jour le : 24 février 2021